LE Voyant – Jérôme Garcin – Ed. Gallimard
Avec Le Voyant, Jérôme Garcin a donc voulu raconter, «pour comprendre». Et pour partager, car on ne garde pas Jacques Lusseyran pour soi. On le sème à la volée. Ce petit garçon heureux, né à Paris en 1924, avait donc un secret. À la suite d’une banale bousculade à l’école, sa tête frappa un bureau, ses lunettes rigides se cassèrent et ses yeux avec.
Énucléation. Noir sans retour. Désespoir des adultes, pas de l’enfant : «La découverte fondamentale, je l’ai faite dix jours à peine après l’accident qui m’avait rendu aveugle. Elle me laisse encore ébloui. (…) J’avais perdu mes deux yeux, je ne voyais plus la lumière du monde, et la lumière était toujours là». En lui.
Enfant précoce et intrépide, soutenu par des parents scientifiques, lettrés, mélomanes et sensibles aux questions spirituelles (son père était un adepte des enseignements de l’anthroposophe Rudolf Steiner), Jacques Lusseyran apprit le braille en quelques mois, reprit place aux côtés de ses petits camarades et fit de très brillantes études.
Lorsque la guerre éclata, il créa son réseau de résistants, en assura le recrutement – en bon connaisseur des âmes – tout en préparant le concours de Normale sup, qu’une loi inique du gouvernement de Vichy et l’entêtement stupide d’un ministre l’empêchèrent d’achever. En 1943, ce fut l’arrestation, la prison, Buchenwald et le miracle de la survie…
La grande, l’émouvante réussite de son livre tient de surcroît à sa capacité à replacer cette exaltante figure de héros face aux paradoxes, aux faiblesses, dont sont truffées toutes les existences. Livre juste et pudique des contrastes de la nature humaine, Le Voyant révèle ces profondeurs que Jacques Lusseyran, avec son regard à lui, savait si bien explorer chez les autres, au timbre de leur voix ou au rythme de leurs pas.
Si ce nom n’évoque rien pour vous, lisez d’urgence le livre de Jérôme Garcin et courez ensuite découvrir les livres disponibles de Jacques Lusseyran. Vous en sortirez revigoré, en vous disant que, finalement, l’âme humaine peut aussi être généreuse et que la vie, aussi tortueuse soit-elle, vaut la peine d’être vécue.